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Les Echos de Nampilly
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9 janvier 2011

Le Frère du Lynx

"Ni la défaite ni la victoire ne sont la fin du jeu"

L’épopée du Royaume et la Gloire démarre, retrouve un second souffle et rebondit deux fois sur trois sur ce genre de petites phrases, denses et ramassées comme des aphorismes, énigmatiques comme un proverbe chinois. Mais contrairement aux tomes précédents, ce troisième volet des aventures de Iaume n’ouvre pas sur un nouveau camp d’été, prenant ainsi à contre-pied le procédé romanesque de « une année = un roman ». La surprise cueille le lecteur autant que le Lynx et son CP peu de temps après la fin (du moins le croyaient-ils) du grand jeu remporté dans Iaume le Preux.

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Souvenons-nous : le Lynx, une fois de plus, avait battu l’ennemi, tout particulièrement la patrouille honnie de l’Aigle, honnie en raison de l’inimitié tenace et furieuse entre Iaume et Philippe, le CP des Aigles. Tout allait bien : la fantaisie héroïque du Lynx l’emportait sur la patrouille modèle des scouts parfaits. Comme Geoffroy, son ami et ancien CP, Iaume gagnait le jeu en une joute pleine de panache, ce qui n’est pas rien et, surtout, gagnait la fidélité de son second, Bertrand (alias le lièvre-kangourou) et l’amitié de Charles, CP du Loup.

Mais voilà, le jeu que l’on croyait fini est relancé en pleine exploration-détente, alors que le Lynx savoure sa victoire et compte se reposer sur ses lauriers. Un mot des chefs (deux en fait) trouvé dans une enveloppe apparue comme par enchantement dans un sac à dos, adressé au Lynx et à l’Aigle, relance la bataille : « capture le roi », « capture le duc de Roussillon ».

Le roi, c’est Iaume. Le duc de Roussillon, c’est Philippe. Ni la patrouille du Loup ni celle du Dauphin ne sont concernées.

"Ni la défaite ni la victoire ne sont la fin du jeu". De tous, seul Iaume comprend immédiatement, intuitivement, de quelle bataille il est question, de quelle victoire et de quel enjeu il s’agit. Peut-être le comprend-il mieux que Germain et Gavrîl, les chefs qui croient tirer les fils, alors qu’ils devraient garder en mémoire, depuis Le Deuxième Jeu, qu’il y a toujours un autre Maître du jeu dans ces montagnes et dans le ciel empli d’étoiles, blessé par les crêtes. Un Maître connu de Iaume, rencontré dans une église lors de sa première fugue, du temps de Geoffroy. Iaume saisit immédiatement de quoi il retourne, et va jouer alors son propre jeu, ou le vrai jeu, désorientant une fois de plus les chefs de la IIIe Ardres-d’Allèves, qui vont encore se demander pourquoi rien ne tourne comme prévu avec cette troupe « de fauves et de têtes de bois en culottes courtes » : « Jamais un grand jeu ne pouvait se dérouler normalement, jamais un raid se terminer là où il était prévu qu’il se terminât, jamais une explo ne pas tourner à la course-poursuite. »

Iaume va jouer seul, du moins le croit-il. C’est compter sans Bertrand, sans Charles, sans ses Lynx à lui, sans Greg, le second de Philippe. Comme aux échecs, ce ne sont pas les rois qui font gagner les parties, mais les pièces secondaires, voire les « sacrifiées ».

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Moins épique, ce troisième volet est en fait un approfondissement des personnages. On creuse dans leur passé pour expliquer le présent. Qui est Iaume ? Ce beau gosse arrogant et râleur, qui « se collerait sa brosse à dents dans le nœud de foulard, s’il pouvait », Iaume dont « on n’a jamais vu les parents » à la troupe, le connait-on vraiment ? Ce roman se démarque ainsi des deux autres par un ton plus sage, plus apaisé, reflétant en cela le chemin initiatique de Iaume : moins de bagarres (un petit peu quand même), moins de tourments profonds. Quant à la chute (il y a toujours un beau gadin dans le Royaume) elle survient tout de même et vaut à Iaume quelques côtes fêlées. Mais cette chute-là révèle à Iaume « le tombeur » le pourquoi de sa passion pour les grimpettes et les vols planés avant atterrissage en catastrophe : « Ce devait être cela son histoire : monter vers le ciel, désirer tellement quelque chose qui ne se trouvait que plus haut, juste plus haut que sa main tendue, et toujours échouer. »

Iaume le sait maintenant, ce n’est plus en tombant que le Royaume s’ouvrira et, cette fois, c’est Bertrand qui va jouer les funambules dans les clochers. Son CP, en restant sciemment en bas, a compris que la porte du Royaume ne se trouve pas en haut d’une construction de pierre, mais dans le cœur d’un ennemi, ancien « copain »… et frère de ce Guil mythique, CP modèle qui brûle encore les cœurs des CP qui l’ont connu et leur pourrit la vie aussi, tellement il est difficile de marcher sur ses traces. Un Guil obsédant, omniprésent qui, curieusement, semble avoir totalement disparu de la vie des scouts, même de celle de son frère, Philippe, qui porte cette parenté comme une croix. Guil n’agit que dans les souvenirs, heureux et douloureux, des scouts. A-t-il vraiment existé, ce chef de patrouille indépassable ? À la fin du roman, Iaume lui-même admet qu’il marche seul, depuis longtemps, que Guil n’est plus là sans pourtant être totalement absent. Juste « un nom que le vent dissipe » mais aussi une main posée à jamais sur une épaule.

Après la cavalcade haletante des deux premiers tomes, Le Frère du Lynx ralentit le rythme et permet à l’histoire de reprendre souffle, comme un andante. La paix est faite : paix entre les CP du Lynx et de l’Aigle, entre Guillaume et le fantôme de Guil, entre Philippe et son frère aîné peut-être. Mais c’est Bertrand qui, à la fin du roman, trouve sa route et son but. De Iaume qu’adviendra-t-il, où va-t-il retrouver son Royaume maintenant que le jeu est fini, et auprès de qui ? Attendons de voir ce que le Maître du jeu lui réserve pour le prochain tome…

Sandrine Alexie

--> Le site de la Licorne <--

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