Le Chant du loup

«…Laentour coeli… Que les cœurs se réjouissent et que la terre tressaille d’allégresse…». La Maîtrise attaque maintenant l’Offertoire. Sous les yeux des Rois de Juda, aux manteaux d’étoiles, Dominique chante et ne se retourne pas.

Laentour coeli… Jo et Loup se frayent un passage à travers l’assemblée des fidèles. Le Seigneur peut descendre sur l’autel: tous ses enfants sont là.

Consécration, Elévation, Communion… Dominique, en recevant son Maître, Le prie pour lui-même et tous les siens. Remercie pour ce qu’il a reçu et recevra encore. Pour sa vie d’enfant qui s’achève, pour l’homme qui bientôt naîtra…

Il ne voit pas ses amis s’agenouiller après lui, Jo renouant avec un passé brusquement si proche, Loup confiant au Seigneur des frères qu’il ne peut s’empêcher de plaindre et voudrait aimer.

Il ne voit pas davantage le Pontife redescendre les marches de l’Autel pour son action de Grâces. Et lui, Dominique, le voici à nouveau au pied du grand Saint Georges d’or. Le Père Deroux l’encourage d’un sourire. Pour la dernière fois sans doute, M. Denz va l’accompagner aux Orgues. La joie de Noël déferle en raz-de-marée sur lui. Sa voix jaillit sous la voûte comme une source d’eau vive. L’Eloignez-vous Bergères atteint de son cristal chaque pierre du vieux vaisseau.

«…J’ai traversé tant de bois et de champs dans le noir!
Laissez-moi m’approcher de notre Dieu Sauveur,
Eloignez-vous Pasteurs!...»

Traversé tant de bois et de champs dans le noir… Cette nuit le Seigneur apporte sa Paix aux âmes de bonne volonté. Et l’Introït de l’Aurore éclate comme la Vérité des Vérités: «Lux fulgebit hodie super nos… La Lumière brillera aujourd’hui en nous; car le Seigneur nous est né…»

Prosternés derrière un pilier, Jo et Loup recevaient dans leur cœur la Promesse du Nouveau-Né.

Christus natus est nobis…

Alleluia

Philippe de Baer

dessin de Pierre Joubert pour le Signe de Piste n°81, 1955

Le Chant du loup est un Avent à lui tout seul. Noël est le point d'Orgue de ce récit tout en finesse, à la tension grandissante jusqu'à la date fatidique, au rythme maintenu par un Maître de Chapelle surnommé, à juste titre, Métronome.

Alors que la Cathédrale attend l’arrivée du Christ, les petits chanteurs celle de la neige, et l'Abbé Deroux celle de la messe de Minuit, Dominique, lui, ne sait plus trop ce qu’il attend. Cette fameuse messe de Minuit, durant laquelle il devait chanter en solo, il décide subitement de ne plus y participer, persuadé que, quelques mois avant la mue, cela n’en vaut pas la peine. Mais même si «rien n’a d’importance, tout est important» a dit le Directeur.

Le 4 décembre, Dominique sombre dans le désespoir. Le même jour, il fait la connaissance de Loup, le petit orphelin aux yeux verts, qui est peut-être plus malheureux encore que lui. Mais pendant l’Avent, dans une Maîtrise, le malheur n’a pas sa place. D’une façon ou d’une autre, sous la neige ou sous la pluie, avec Daniel ou Dominique comme soliste, il faudra que le 24 à minuit tout soit réglé.

Bruno Saint-Hill nous conte trois Avents en un roman. Tous trois se termineront à la Cathédrale Saint-Louis, le soir tant attendu. Il y a celui de Dominique qui cherche sa voie (et sa voix) d’adulte. Celui de Loup, qui veut échapper à la médiocrité de ses frères («J’ai beau avoir trois grands frères, j’aimerais bien finir par être le petit frère de quelqu’un.») et celui de Jo, qui cache un coeur d’or sous des airs de joueurs d’accordéon («Sûrement, ça vaut la peine, Noël, surtout pour les petits»). Tous trois s’éveilleront à une vie nouvelle sous le regard des Saints, tous trois renaîtront dans cette église resplendissante de draps d’or et de tapisseries pleines de fleurs et de chevaux.

A minuit, le 24 décembre, la voix de Dominique s’élève dans le chœur. C’est Noël, tout est bien.