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Les Echos de Nampilly
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18 octobre 2008

Babar, Harry Potter & Cie

Il y a quelques temps, nous vous présentions l’exposition Babar, Harry Potter et Cie, événement de la rentrée à la BnF. Inaugurée le 14 octobre, l’exposition attire déjà du monde. Et non sans raison. 370 pièces retracent plus de quatre siècles de littérature pour enfants. Du premier livre-doudou aux romans "presque pour adultes", du 16ème siècle à 2007, tous les aspects du livre pour enfants sont examinés à la loupe.

affiche

Quatre siècles d’histoire pour enfants

Bébés-lecteurs fascinés par les livres des sens et abécédaires, enfants rêveurs prenant l’échappée belle, adolescents aux lectures initiatiques, jeunes adultes aux lectures prescrites et collectionneurs de livres rares et précieux guident le visiteur. Aussi bien le monde réel que l’imaginaire sont abordés. A côté des encyclopédies et documentaires, on retrouve le Club des cinq, Martine et Harry Potter.

martine
Martine à l'école - Texte de Gilbert Delahaye, ill. Marcel Marlier
Casterman, 1957

Les héros de notre enfance

Une ribambelle de héros est à l’honneur. L’exposition est peuplée d’animaux étranges, de bons petits diables, de pauvres orphelins, de jeunes détectives, de chevaliers et de super-héros. Les productions parallèles ne sont évidemment pas oubliées. Outre le cinéma et les dessins animés, l’exposition s’arrête longuement, à plusieurs occasions, sur la presse pour enfants : La semaine de Suzette, le Journal de Tintin, Pif gadget, Cœur Vaillant… Les plus grands s’attarderont sur d’anciennes éditions de Pomme d’api tandis que les enfants s’arrêteront sur des numéros beaucoup plus récents.

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Gulliver ligoté par les Lilliputiens - Clément-Pierre Marillier
Dessin pour les gravures rassemblées par Charles Garnier
Paris, 1787-1789 - BnF

L’exposition est faite pour séduire les plus grands comme les plus petits. Le parcours, assez ludique, est constitué de vitrine à hauteur d’enfants et parsemé de jeux multimédia. A côté des vitrines, on peut feuilleter des rééditions des œuvres exposées (une bibliothèque en propose 400 !), car l’envie de rouvrir ces livres surgit en même temps que les souvenirs de Gulliver, Bécassine, Les quatre filles du Docteur March, Poly et tant d’autres…

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Poly - Cécile Aubry, ill. Jean Reschofsky
Hachette, 1964

Le patrimoine

L’exposition surprend par le nombre de pièces de grande valeur qu’elle propose. On admire une édition originale de Charles Perrault de 1697, on s’amuse devant les dessins originaux de Babar, Caroline ou du Petit Prince, on cherche à décrypter les repentirs des manuscrits de Télémaque, Les Malheurs de Sophie et 20 000 lieues sous les mers. Ces véritables trésors côtoient de banals Folio. C’est ainsi que l’exposition représente la richesse de la création littéraire enfantine : comme un tout indissociable, avec ses évolutions, ses inventions, ses idéologies et ses messages.

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Le Voyage de Babar - ill. originale de Jean de Brunhoff
Paris, le jardin des modes, 1932 - BnF

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Les Malheurs de Sophie - Comtesse de Ségur
Manuscrit, feuillet 3, 1858 - Bibliothèque Labadens

Le Signe de Piste

Devant cet univers si vaste, il faut se rendre à l’évidence : l’empreinte qu’a laissée le Signe de Piste dans les époques qu’il a traversées est aujourd’hui presque effacée. La Collection n’est pourtant pas oubliée, on la trouve même en deux endroits. Elle est tout d’abord mentionnée sur le grand mur donnant quelques repères chronologiques. L’année 1937, sur la ligne "Editions" est marquée d’un laconique «Signe de Piste», Paris, Alsatia, juste après les Albums du Père Castor (1931) et juste avant la Collection Rouge et Or (1947).

Cette dernière a d’ailleurs droit à une petite vitrine présentant quelques titres (dont un de Claude Campagne et un de Paul Berna), en marge de la scénographie centrale. Comme la vitrine déborde un peu, on trouve tout proche du Signe de Piste un roman de Cécile d’Argel, Rouge et Or Souveraine, titré… Le Pays perdu. Drôle de Coïncidence!

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Le Pays perdu - Cécile d'Argel
Bilbiothèque Rouge et Or, coll. Souveraine, 1958

Vers la fin de l’exposition, on trouve (enfin!) un Signe de Piste. On s’attendait à le voir du côté du roman initiatique des années 70, mais non, il fallait le chercher dans une rubrique dont il essaie pourtant de s’affranchir. En voici l’introduction : «Les livres destinés à l’enfant se veulent aussi formateurs moralement, socialement et politiquement. Dans le sillage de la Civilité puérile d’Erasme (1530), nombre de livres enseignent les bonnes manières et stigmatisent les défauts. Aux berquinades succèdent des albums plus enlevés aux héros éponymes (Touche-à-tout, Charlotte, Germain, etc…). Instrument privilégié de l’éducation du prince incarné par Télémaque, le livre pour enfants devient au 19ème siècle un enjeu entre chrétiens et laïcs. Révélateurs sont les modèles de vie qui s’adaptent au temps, et aux circonstances (gloire nationale à la veille de 1914, champions sportifs dans les années 1960). Au service du patriotisme et de la propagande en temps de guerre, le livre pour enfant sait aussi être le messager de la paix. Enfin, il n’échappe pas à la censure, notamment à celle établie spécialement à son intention en 1949.»

hansi
Mon village, ceux qui n'oublient pas - Hansi
Paris, Floury, 1913

Notre Signe de Piste est bien défraîchi, bien abîmé. Mais on s’attendrit tout de même devant ce Prince Eric de 1940, un peu coincé entre La Bête est morte (Calvo) et Mon village, de l’Oncle Hansi. La notice du Prince Eric n’est pas tendre pour la série:

Serge Dalens, ill. Pierre Joubert
Alsatia, 1940, Signe de piste
Le Prince Eric
Best-seller pendant plusieurs décennies, la saga du Prince Eric, inaugurée par Le Bracelet de vermeil (1937), fonde le roman scout français. Le culte du chef, de la hiérarchie et de l’obéissance marque ces romans. La préface ouvertement "révolution nationale" de La Mort d’Eric, condamna l’œuvre à une lecture politique.
BnF, La Joie par les livres

prince_eric

Le catalogue de l’exposition (580 pages… 48 euros, gloups) accorde au Prince Eric une page complète et un texte signé Olivier Piffault (commissaire, archiviste-paléographe, conservateur de bibliothèque, adjoint au directeur du Centre National de Littérature pour la Jeunesse – La Joie par les livres). La notice du Prince Eric est issue de ce texte fort peu glorieux pour Serge Dalens et le Signe de Piste: «l’auteur et son œuvre (…) ne récoltent quasiment que des jugements négatifs», «une véritable faille culturelle, une "zone grise" de la littérature pour la jeunesse». Olivier Piffault excuse pourtant ce qu’il prend pour un acte volontaire de Serge Dalens en l'imputant à la guerre: «le jeune auteur traumatisé par la défaite de 1940 condamnait son œuvre à être interprétée à l’aune de ses croyances».

Pétainiste Le Prince Eric? Le sujet a été largement débattu ailleurs et par d’autres, et il ne nous plaît ni d’y croire, ni d’en parler ici. Le catalogue se ratrappe plus loin en citant une seconde fois la saga du Prince Eric de manière beaucoup plus élogieuse. On peut lire à la fin du livre un texte signé Nic Diament (archiviste-paléographe, conservateur général des bibliothèques honoraires, ancienne directrice de La Joie par les livres de 2001 à 2007) intitulé Mais que lisent-ils vraiment? Best-sellers et lectures réelles des enfants et des adolescents. En voici  le premier paragraphe:

Dans une littérature "pour" la jeunesse écrite, éditée, vendue, critiquée et achetée par les adultes, où trouver la trace, l’empreinte des goûts et des choix "spontanés’" des enfants lecteurs? Il existe parallèlement à l’histoire autorisée de la littérature et de l’édition pour la jeunesse une sore de contre-allée, emplie de succès retentissants et dont certains sont durables et se transmettent de génération à génération et dont on peut ainsi imaginer qu’ils ont rencontré une adhésion massive de la part du jeune lectorat. Citons pêle-mêle pour le 20ème siècle : les Pieds nickelés, le roman scout et la fameuse saga du Prince Eric*, les albums de Martine, les Caroline, les œuvres d’Enid Blyton, les séries des "Bibliothèques rose" et "verte" des années 1960, ou plus près de nous le phénomène des "Livres dont vous êtes le héros", la série des Chair de Poule, les mangas, les Titeuf ou même l’incontournable Harry potter. C’est un corpus mouvant, évolutif, difficile à définir. Il repose plutôt sur la perception très intuitive et, il faut l’avouer, fortement subjective, qu’un ensemble d’œuvres – ne faisant pas a priori partie des lectures recommandées (ou recommandables?) – ont occupé une place essentielle, quoique fort peu reconnue, dans le parcours de lecteurs enfants.

* La saga du Prince Eric, le plus emblématique de tous les romans scouts, publiée entre 1937 et 1947 par Serge Dalens et constamment réédité, s’est vendue à 1 300 000 exemplaires (Le Bracelet de vermeil, Le Prince Eric), 1 000 000 exemplaires (La Tache de vin) et 900 000 exemplaires (La Mort d’Eric). Les deux autres tomes, beaucoup plus tardifs, ont connu des performances moins élevées.

Par ailleurs, Pierre Joubert est aussi peu visible dans l'exposition que le Signe de Piste. En dehors du Prince Eric, on le repère du coin de l’œil en couverture d’un Bob Morane, qui occupe une place de choix au rayon "aventuriers", tout près de Davy Crockett et Rahan:

Marabout, coll. Marabout Junior n°16, 1958
Henri Vernes, ill. Dino Attanasio, couv. ill. Pierre Joubert
Les aventures de Bob Morane : La Vallée infernale
Un aventurier au grand coeur

bobmorane

A retenir

Finalement, loin des polémiques politiques, on retiendra qu’en 2008 Le Prince Eric a été exposé à la BnF, à hauteur des yeux, parmi des centaines de romans pour la jeunesse.

L’exposition quant à elle vaut vraiment la peine d’être vue. Le sujet, tellement large, est fort bien traité, dans le détail mais sans ennuyer le visiteur. La plupart des œuvres proviennent de La Joie par les livres ou de la BnF elle-même. Il faut dire qu’elle seule pouvait organiser une manifestation de cette ampleur, sur un thème rarement abordé de façon aussi exhaustive.

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Enfant lisant Histoire de Babar - Rose Nadau
Photographie, 1947
 

--> Le site de l'exposition <--

Jusqu'au 11 avril 2009
BnF - Site François Mitterrand - Grande Galerie
Quai François Mauriac, Paris 13ème

du mardi au samedi 10h - 19h
dimanche 13h - 19h

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Commentaires
O
Merci pour cette impressionnante présentation de notre exposition. Par rapport à Joubert, Dalens ou Signe de Piste, il faut savoir que le choix a été fait de ne représenter, le plus possible, les auteurs que par 1 pièce (certes Babar c'est 4 mais c'est Babar et avec un don de la famille) pour en montrer le maximum. Du coup, sachant que Joubert était avec Bob Morane et Eric, j'ai choisi un "Vie privée des hommes" de quelqu'un d'autre, par exemple.<br /> Concernant Eric et Signe de Piste, on peut indiquer comme références certes Pascal Ory (Revue des Livres pour enfants n°134/135 1990), mais aussi Christian Guérin L'utopie scout de france (1997), ou la maîtrise de Jacques Scheer à Paris VIII en 1983, dir. G. Vigarello, celles d'Eric Bargibant à Lille III en 2001, Nathalie Boitel en 1991, Thierry Debus en 2000, Agathe Picot en 1988 dir. Philippe Levillain, et la thèse d'Alain Gout de 1973, etc., sans compter les nombreuses interviews de Dalens, Foncine et autres collaborateurs de la collection ou d'Alsatia. Il y a une thèse belge en 2007 que je n'ai pas eu entre le mains. Francis Marcoin, à travers l'étude de Claude Campagne, a aussi approfondi récemment la question, je pense qu'il publiera un jour.<br /> Concernant le catalogue, Le Prince Eric illustre la partie politique, et la notice est écrite en fonction de cet axe. J'indique justement combien les commentaires qui ont pu être faits sur cette oeuvre privilégient le discours politique sur la structure littéraire ; la notion de "zone grise" n'est pas péjorative en soi, elle indique juste le curieux décalage qu'il y a entre un best-seller sur une longue durée, roman culte, et son passage sous silence ou sa critique systématique dans les histoires canoniques du livre pour enfants. C'est bien l'objet de la réflexion que m'a donnée Nic Diament, sur ces "lectures réelles" que l'on ne saurait voir. (en dehors du champ strictement politique, on peut rajouter Martine par exemple qui n'est pas populaire chez les critiques, c'est un euphémisme). Mais contrairement à Martine que tout le monde a pu avoir entre les mains, Signe de Piste (comme le journal Pif dans un autre style) est soit très connu soit complètement ignoré des anciens lecteurs, dans un clivage parfois (mais pas toujours) politique, souvent sociologique. De toutes manières, chaque enfant s'est construit son propre patrimoine littéraire, qu'il a chargé personnellement de sa propre compréhension, souvent en dépit des intentions réelles ou supposées des auteurs. <br /> Olivier
A
Est-il possible de lire cet article ?
L
Cette exposition a notamment fait l'objet d'un long article dans Valeurs Actuelles du 9 octobre. Si Pierre Joubert est absent, la littérature scoute est citée avec le Prince Eric et la Patrouille des Castors.
J
Il ne faut pas croire que Pascal Ory à lui seul a influencé le jugement de tous les commentateurs de Serge Dalens.<br /> Ce dernier était assez jeune et enthousiaste lorsqu'il rédigeait les préfaces au Prince Eric et La mort d'Eric pour manifester son admiration pour le maréchal Pétain. N'importe quel collectionneur peut le vérifier.<br /> Son engagement politique tardif n'est peut-être pas non plus une erreur de parcours.<br /> On attend avec patience une biographie sérieuse et documentée sur Serge Dalens.
F
La réflexion de l'historien que je suis est peut-être que la littérature pour la jeunesse de la première moitié du 20ème siècle est davantage cataloguée par sa forme novatrice (Bécassine, Babar, Martine, ...) que par son fond . Comme Nodier, Barrès ou Montherlant, Dalens, Foncine et autres doivent davantage être perçus comme des produits de leur époque qu'en tant que novateurs ...<br /> <br /> Quel souvenir en restera-t-il d'ici quatre à cinq siècles, probablement pas grand chose malheureusement, à moins qu'il n'en soit fait mention dans l'oeuvre d'un littérateur de notre époque, adulé dans quelques générations . Je Vous rappelle hélas que le taux de survie du papier de bois en usage depuis 1850, de par son acidité, n'excède guère les deux siècles ...<br /> <br /> Désolé .<br /> <br /> Fauvette
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